Association

Edgar Faure

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Edgar Faure

La décolonisation

1955 , la France renonce au Maroc

Le président du Conseil Edgar Faure, reconnaît Mohammed Ben Youssef, comme sultan du Maroc.

Le gouvernement français renonce ainsi au protectorat qu’il avait instauré dans le pays depuis 1912.

Tiraillée entre les premiers signes de guerre d’indépendance en Afrique du nord, la France préfère consacrer ses forces armées pour l’Algérie.

Le sultan Mohammed V rentrera au Maroc le 16 novembre et l’indépendance sera officiellement proclamée le 2 mars 1956.

Le Maroc et la Tunisie

Edgar Faure et Bourguiba

Marocains dans les rues de la médina à Casablanca, dans l'attente du retour de Mohammed V

Au moment où la Libye accédait à l’indépendance et allait grossir les rangs du groupe afro-asiatique à l’O.N.U., les questions marocaine et tunisienne faisaient irruption sur cette même scène dans des conditions infiniment plus dramatiques. Les positions de départ avaient été clairement affirmées à travers les manifestes de l’Istiqlal en 1943, puis celui, en août 1946, du Front national tunisien, rassemblant les « néo- » et les « archéo- » du Destour. Les nationalistes pensèrent réaliser leurs objectifs par l’internationalisation. L’objectif immédiat était au moins d’obliger la France à des négociations. L’établissement de l’O.N.U., les intentions anticoloniales prêtées aux États-Unis, la confiance dans la France nouvelle, qui sortait de l’épreuve, et la formation de la Ligue arabe avaient nourri des espérances d’évolution rapide. C’est d’abord de ce côté que Bourguiba avait cru obtenir le principal appui, en rejoignant clandestinement Le Caire, dès mars-avril 1945. C’est du même côté que, après deux années d’expectative, le sultan Mohammed se tourna en avril 1947, par son retentissant discours de Tanger. C’est aussi dans le même but que d’autres Maghrébins, Marocains, Tunisiens et Algériens du Parti du peuple algérien (P.P.A.), gagnèrent Le Caire, où ils furent rejoints en 1947 par deux grandes figures, Allal el-Fassi et le vieux combattant du Rif Abd el-Krim, puis par Salah ben Youssef. Au début de 1947, l’atmosphère était à l’euphorie. Mais les nationalistes maghrébins furent vite déçus. Les pays arabes étaient trop divisés et trop faibles pour apporter autre chose que des déclarations de sympathie. De plus, les nationalistes « de l’extérieur » souffraient d’un évident manque de crédibilité. Néanmoins, c’est surtout auprès des États-Unis que les nationalistes espéraient trouver audience et appui, afin d’obtenir le débat tant souhaité sur l’Afrique du Nord à l’O.N.U. Ils multiplièrent démarches et voyages ; des bureaux de propagande et un Office arabe auprès des Nations unies furent ouverts. Mais les États-Unis, alors préoccupés par les priorités européennes, n’étaient pas favorables à une action qui affaiblirait la France, partenaire de l’alliance atlantique en cours d’élaboration.

À partir de 1950, la situation évolua rapidement en Tunisie comme au Maroc. La fameuse déclaration de Robert Schuman, qui avait évoqué à Thionville, le 13 juin 1950, la possibilité d’une voie vers l’indépendance pour la Tunisie, avait paru amorcer des réformes constitutionnelles, et le Néo-Destour avait accepté de collaborer à un cabinet de dialogue formé par Mohammed Chenik, un ancien collaborateur de Moncef Bey. Pourtant, dès la fin de 1950 pour le Maroc, au cours de l’année 1951 pour la Tunisie, on était dans l’impasse. Plus encore, au début de 1951, le général Juin, qui occupait les fonctions de résident général depuis 1947, entama une politique de force, avec l’appui des grands « féodaux » du Sud, contre le sultan et l’Istiqlal, taxés de complicités et d’intelligences avec l’extérieur. En ce qui concerne la Tunisie, les négociations de janvier et d’octobre 1951 butaient sur des obstacles tout aussi insurmontables. La France mettait toujours en avant le préalable de la reconnaissance des traités de protectorat, des garanties pour les colons (les « prépondérants ») et des liens privilégiés, voire l’appartenance à l’Union française. On paraissait accepter l’épreuve de force ; l’arrivée, en janvier 1952, à Tunis du nouveau résident Jean de Hautecloque sur un croiseur fit figure de véritable provocation.

À ce moment, la violence avait éclaté dans les deux résidences, et les crises entrèrent dans une seconde phase d’internationalisation. L’indépendance de la Libye en 1951 accéléra la mobilisation des États arabes. Ils chargèrent l’Égypte de déposer, le 4 octobre, une demande d’inscription de la question du Maroc à l’ordre du jour de la VIe session de l’assemblée des Nations unies, en novembre. Le débat s’étira sur plus d’un mois et aboutit à un ajournement, voté par vingt-huit voix contre vingt-trois et sept abstentions. Le « bloc » anticolonialiste se scinda à cette occasion, la majorité des pays latino-américains ayant choisi de composer. L’année suivante, l’épreuve de force éclata en Tunisie ; elle détermina une autre offensive onusienne. Cependant, en décembre 1952, la proposition arabo-asiatique de créer une commission des bons offices, donc établissant implicitement la compétence de l’O.N.U., fut rejetée. L’attitude des États-Unis fut déterminante. La France multiplia ses efforts, finalement fructueux, auprès des Américains et des Britanniques pour éviter des condamnations à l’O.N.U. 

L’administration américaine et l’opinion informée aux États-Unis étaient inquiètes de l’évolution de la situation au Maghreb. Des contacts officieux et officiels existaient avec les nationalistes. Les États-Unis acceptaient de soutenir les réformes de la France en vue d’une autonomie interne des protectorats ; mais, dans le contexte du développement de l’anticolonialisme, il leur était aussi impossible de négliger indéfiniment les adversaires de la France. En 1953, la relative inefficacité du levier extérieur laissait cependant les nationalistes et la France face à face dans un rapport de forces incertain. L’insurrection algérienne allait donner rapidement une nouvelle dimension à la revendication d’indépendance dans les deux protectorats. La Tunisie était la première concernée. Il est certain que l’évolution fut précipitée par la politique volontariste de Pierre Mendès France, arrivé au pouvoir en juin 1954, dans le contexte dramatique de la défaite française de Diên Biên Phu. Après novembre 1954, le risque de contagion de la violence armée en Afrique du Nord augmenta, car il existait déjà en Tunisie des groupes de moudjahidines, ou fellaghas, qui opéraient à partir de camps d’entraînement en Tripolitaine. Tandis que les militaires et le résident général en tiraient la conclusion qu’il fallait maintenir des forces importantes, pour Mendès France, au contraire, il fallait négocier avec les modérés du Néo-Destour, afin de s’assurer une Tunisie neutre, sinon amie, dans le conflit qui s’ouvrait sur son flanc ouest. La négociation entamée par le gouvernement Mendès France, poursuivie par celui d’Edgar Faure, aboutira sous le gouvernement Guy Mollet à la reconnaissance de l’indépendance de la Tunisie, le 20 mars 1956.

Le processus, quoique plus long et plus laborieux, s’inspira des mêmes considérations pour le Maroc, où le terrorisme et le contre-terrorisme se déchaînèrent dès la fin de 1953. Comme en Tunisie, la politique de force conduisit à une impasse. De plus, la France craignait toute une série de complications extérieures : avec l’Espagne, qui couvrait les activités des réfugiés nationalistes et de l’Armée de libération marocaine (A.L.M.) dans sa zone ; avec l’Algérie, où les fellaghas entretenaient des relations avec l’A.L.M. au Maroc espagnol ; avec l’O.N.U., enfin, où devait s’ouvrir un débat sur l’Algérie à la fin de 1955 et où il était donc indispensable de s’assurer la sympathie américaine. Pour les gouvernants français à partir de 1954, il fallait donc liquider l’affaire marocaine et reconnaître au Maroc la seule autorité légitime capable d’enrayer les risques de djihad général au Maghreb : le sultan Sidi Mohammed. C’est dans ces conditions que s’effectua le retour triomphal du sultan au Maroc et la reconnaissance de l’indépendance du pays, comme celle de la Tunisie, en mars 1956.

Au cours de ces deux dernières années, la guerre d’Algérie qui commençait a donc pesé de façon décisive sur le mouvement vers l’indépendance totale des deux protectorats et l’abolition des traités de 1881 et de 1912. Les nationalistes avaient continué de recevoir des appuis réels dans le monde arabe ; à l’O.N.U., la France restait sur la défensive ; enfin, les Américains ne cachaient guère leur impatience. Toutefois, le grand coup d’accélérateur fut donné par les Algériens, qui devaient naturellement en attendre la contrepartie. L’ambiguïté présidait donc, dès le départ, aux relations des deux nouveaux États, tant avec les Français qu’avec les Algériens, pendant l’insurrection en Algérie.